lundi 15 octobre 2012

Louise-Michel – Benoit Délépine / Gustave Kervern

C’est non sans honte que je me remets à l’écriture. Plus d’un mois sans nouvelle tu devais t’inquiéter … enfin j’espère un peu que tu t’inquiétais mais j’y crois pas trop. Je me sentirais flatté de cela, mais je doute fort que Pepsi Kola est pris une telle place dans ta vie. Enfin, toujours est-il que si tu t’ennuies au bureau et que tu connais déjà par cœur toutes mes chroniques, fais un tour dans les liens que j’ai à droite là, c’est que du bon. Notamment le blog d’un Odieux Connard, qui est très certainement un de mes bloggeurs préférés : vicieux, malsain, jamais content, critique sur tout, spoileur, sa verve acerbe et sa mauvaise foi te feront toujours passer un bon moment.

Bon promis cette fois j’essaie de m’y tenir un peu plus, c’est pas que j’ai pas de matière (sans j’en ai plein d’avance t’inquiète), c’est juste que j’avais pas masse de temps à consacrer au blog en septembre : plein de concerts avec Welcome Noise et The Nasty Monkees, une semaine de vacances sportives (bodyboard et pêche ça compte ça non ?) mais également un peu éthyliques, je te le concède bien volontiers avec 2 popains, l’orga de notre grosse soirée annuelle avec herr Bichon, etc … donc je l’admet, l’excuse est facile d’accord, mais je t’ai déjà expliqué à quel point j’étais ramier et d’une et à quel point je le serais moins le jour où, enfin, vos dons me permettront de me payer les Nike MAG x Marty McFly x Back to the Future, je vous rappelle l’adresse : 

Pepsi Kola Holding
Le Centre Bourg
75 Paris

Je dois bien avouer que cela me remonterai bien le moral car je commence à désespérer pour l’espèce humaine quand on voit le nombre de têtes pleines d’eau qui nous entourent au quotidien, dont une bonne partie nous dirigent en plus, c’est dire si on a le cul bien enfoncé dans les ronces. Il faut que je te raconte une petite histoire pour justifier mon propos.

Il y a quelques mois de cela, je descendais dans la station de métro Voltaire, comme tous les matins pour me rendre au cravail. Comme tous les matins, j’étais en retard et encore un peu dans ma nuit. Je me présente devant les portiques et celui que j’avais initialement choisi était occupé par un usager peu coutumier de la Régie Autonome des Transports Parisiens, et qui du coup galérait un peu à passer. Tel un chat, j’ai bondi vers le portique attenant pour éviter de perdre 5 minutes derrière un provincial peu dégourdi (que c’est bon d’être puant et hautain quand on vit à la Capitale). Je n’avais malheureusement pas vu un cinquantenaire un peu pressé, mais surtout agressif (ce que j’apprendrais assez rapidement) et lui ai sans aucune gêne griller la priorité. « Il vous plaisait pas l’autre portique » furent à peu près les mots qu’il me lança. Je dois vous préciser qu’avant son intervention en langage évolué complet (je préfère le préciser quand même car venant de la part d’une tête de nœud comme ça, un grognement aurait pu suffire) je ne l'avais même pas vu, ce genre de chose arrive mais à priori pas avec lui. « Excusez-moi monsieur » lui répondis-je avec sincérité. Et à partir de là et ce jusqu’à ce qu’on monte chacun dans une rame différente du métro il m’a tout simplement agressé verbalement (et dès le réveil ce qui devrait être passible de mort par pendaison testiculaire). J’ai même eu droit à la question suivante : est ce que je me rabattais comme ça sans regarder quand je suis au volant, parce que si tel était le cas je devais avoir beaucoup d’accidents. Ce à quoi j’ai répondu par l’interrogative moi aussi en lui demandant si lui était coutumier du fait de doubler par la droite, car je trouvais ça dangereux un peu. En gros, il gueulait et je jouais au naïf. Il m’a donc très vigoureusement molesté les noix pendant quelques minutes jusqu’à ce que, n’y tenant plus, je prenne mon regard autant chargé d’exaspération que de dégout pour mon semblable (quand il se comporte ainsi, entendons-nous bien) pour lui demander : « Honnêtement, c’est une passion ? », « Quoi ? » me répondit-il sur un ton dédaigneux, « Ben casser les couilles aux gens comme ça, dès le réveil, ça peut pas être anecdotique, c’est forcément une passion ». Je l’ai entendu marmonner quelques insultes à mon encontre, mais marmonner tout bas vraiment. Ce qui vérifie le lieu commun énoncé par le grand Audiard qui est le suivant « Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, les types de 80 kilos les écoutent ».  Quelle preuve de courage n’est-il pas ?

Une belle preuve de savoir-vivre également. C’est quand même effarant d’être confronté à tant de bêtise contenu dans un seul être vivant. Personnellement, ça me rend fou. Et les exemples sont nombreux parmi nos congénères. J’ai même l’impression que plus l’homme est important, plus il se sent de se comporter ainsi, il n’y a qu’à regarder nos politiques, quel que soit le bord. Ce qui renforce ma position apolitico-gaucho-anarchiste. Louise Michel, ma très chère Louise, tu nous manque, la lutte continue. Et là encore tel le plus souple des félidés, je retombe sur mes pattes (et ce malgré l’entorse qui m’enserre la cheville droite). Car en parlant d’anarchisme et de Louise Michel (l’anarchiste de la Commune), j’ai vu Louise-Michel de Délépine et Kervern et je t’en parle tout de suite. Une fois n’est pas coutume, parlons boulangerie industrielle, le pitch donc :

Le film démarre dans une région toute grolandaise j’ai nommé la Picardie, on est direct dans l’ambiance misère sociale et consanguinité. Louise est employée dans une usine de textile qui fabrique des doudous. La nuit suivant l’arrivée des nouvelles blouses pour les ouvrières, le patron profite de l’allégresse suscitée par ce présent et délocalise l’usine, déménageant l’intégralité de ses machines en une nuit, sans même trouver légitime de prévenir ses ouvrières. Elles se retrouvent tout attablées dans la réserve d’un bouge crasseux pour discuter de leur avenir et finissent par décider de mettre leurs indemnités en commun par bâtir un projet pérenne qui leur profiterait à toutes. Plusieurs propositions sont faites, à commencer par l'incontournable pizzeria que tout salarié réaliste rêve d'ouvrir en ce moment. Sur proposition de Louise, elles font appel à un tueur à gage recruté par Louise pour assassiner le patron indigne. Parti à la recherche d’un dénommé Luigi, une vieille connaissance de Louise, dans une vie antérieure, celle-ci croise Michel Plinchon, security manager hirsute d’une société de sécurité dont le siège se trouve dans un village de mobil home, qui vient de perdre son flingue dans la rue. Celui-ci se révèle être totalement incompétent et lâche. Louise, l’ouvrière analphabète, va devoir assister Michel, le faux tueur, pour qu’il mette son contrat à exécution.
De la Picardie à Jersey, en passant par Bruxelles, le duo grolandais Kervern/Délépine nous propose une fois encore un road movie surréaliste, mâtiné d’anarchisme aigre doux. Comment la rencontre de ses 2 asociaux à la recherche d’un patron que la nébuleuse capitalistique de l’entreprise moderne rend toujours plus insaisissable. Les 2 interprètes principaux sont 2 belges bien frappés : Yolande Moreau et Bouli Lanners, soutenu par pléthore de seconds couteaux et autres guests tous plus bargeots les uns que les autres : Benoit Poelvoorde en ingénieur adepte de la théorie du complot mais à un niveau confèrent à la folie simple, Francis Kuntz dans le rôle qu’il tient le mieux à savoir un sous-directeur pourri et vicieux délicieusement malsain, Miss Ming, la petite protégée des 2 trublions réalisateurs, en tueuse à gage sur le tard, cancéreuse en phase terminale, Matthieu Kassovitz en fermier écolo navrant qui fait venir des mangues bio par avion, mais aussi Siné, le président Salengro, Joseph Dahan (l’ancien bassiste de la Mano Negra siouplé). ..

Le film a reçu le prix du meilleur scénario au festival de San Sebastian et c’est on ne peut plus mérité. Même si ce film s’inscrit dans une réalisation (rythme, photographie) bien plus traditionnelle que leur 1er ovni Aaltra, chroniqué dans ces pages il y a quelques mois, l’histoire une fois encore est un véritable conte social halluciné, comme savent si bien le faire nos 2 réalisateurs grolandais préférés. Une splendide ode politique aux petites gens. Et j'ai oublié de vous parler de la BO qui est plutôt cool dans l'ensemble avec notamment quelques perles de Daniel Johnston, un des pontes de la musique Lo-Fi (si tu sais pas Wikipédia est ton ami).
Pas grand-chose à dire sinon que j’ai vraiment adoré. Du vrai beau cinéma français de qualité, subversif en diable, qui n’a pas peur de s’assumer. Ça change des bouses mollassonnes d’Olivier Baroux, Danny Boon et consort … Le plus surprenant étant que ce film, pourtant tourné avant la sacro sainte crise économique mondiale n'a jamais été autant d'actualité. Avec l'humour trash qu'on leur connait, Kervern et Délépine fustige le capitalisme obscène que nous subissont et nous prédit à demi mot, que si rien ne change, la révolution est à portée de main.

Le film se termine sur un hommage assumé à la vraie Louise Michel : « Maintenant que nous savons que les riches sont des larrons, si notre père, notre mère n’en peuvent purger la terre, nous quand nous aurons grandi, nous en ferons du hachis ». Je vous laisse méditer là-dessus.